Hier Valérie Pécresse, la ministre de la recherche, a reçu du lourd à son courrier. Un appel signé de plus de 400 scientifiques français travaillant dans le domaine du climat.
Voici cet appel.
Mme la Ministre de la Recherche
M. le Directeur de la Recherche
M. le Président de l’Académie des Sciences Mmes et MM. les Directeurs des acteurs de la recherche publique regroupés au sein de l’Alliance thématique AllEnvi (BRGM, CEA, CEMAGREF, CIRAD, CNRS, CPU, IFREMER, INRA, IRD, LCPC, Météo France, MNHN) M. le Président de l’Agence d’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur M. le Président du Comité d’Éthique du CNRS.
Éthique scientifique et sciences du climat : lettre ouverte
Nous, scientifiques du climat, attachés au devoir de rigueur scientifique, interpellons les structures référentes de la recherche scientifique française, face aux accusations mensongères lancées à l’encontre de notre communauté.
Un pacte moral relie les scientifiques et la société. Rémunérés principalement par les crédits publics, les scientifiques doivent déployer une rigueur maximale, pour la conception, la réalisation, la publication de leurs travaux. Leurs pairs sont les arbitres de cette rigueur, à travers les processus critiques de relecture, de vérification, de publication des résultats. Les hautes instances scientifiques sont les garants de cette rigueur. C’est sur cette éthique scientifique que repose la confiance que la société peut accorder à ses chercheurs. (Ci-contre la démonstration par Grudd du trucage de son graphique par Claude Allègre)
Reconnaître ses erreurs fait également partie de l’éthique scientifique. Lorsqu’on identifie, après la publication d’un texte, des erreurs qui ont échappé aux processus de relecture, il est d’usage de les reconnaître, et de les corriger, en publiant un correctif. Ainsi, des glaciologues ont mis en évidence une erreur dans le tome 2 du 4ème rapport du Groupe d’expert intergouvernemental sur Page 1/17 l’évolution du climat («Impacts, Adaptation et Vulnérabilité, chapitre 10 : Asie») concernant le devenir des glaciers de l’Himalaya. En l’absence de procédure formelle d’«erratum», le GIEC a publié son «mea culpa» ( http://www.ipcc.ch/pdf/presentations/himalaya-statement-20january2010.pdf), reconnaissant l’erreur, et soulignant que les processus de relecture du rapport n’avaient pas fonctionné pour ce paragraphe. En cela, le GIEC a respecté la déontologie scientifique.
Depuis plusieurs mois, des scientifiques reconnus dans leurs domaines respectifs dénigrent les sciences du climat et l’organisation de l’expertise internationale, criant à l’imposture scientifique – comme le fait Claude Allègre (photo) dans L’Imposture climatique ou la fausse écologie (Plon, 2010), pointant les prétendues «erreurs du GIEC», comme le fait Vincent Courtillot dans Nouveau voyage au centre de la Terre (Odile Jacob, 2009) et dans des séminaires académiques. Ces accusations ou affirmations péremptoires ne passent pas par le filtre standard des publications scientifiques. Ces documents, publiés sous couvert d’expertise scientifique, ne sont pas relus par les pairs, et échappent de ce fait aux vertus du débat contradictoire.
Ces ouvrages n’auraient pu être publiés si on leur avait simplement demandé la même exigence de rigueur qu’à un manuscrit scientifique professionnel. De nombreuses erreurs de forme, de citations, de données, de graphiques ont été identifiées. Plus grave, à ces erreurs de forme s’ajoutent des erreurs de fond majeures sur la description du fonctionnement du système climatique. Leurs auteurs oublient les principes de base de l’éthique scientifique, rompant le pacte moral qui lie chaque scientifique avec la société. Ces attaques mettent en cause la qualité et la solidité de nos travaux de recherche, de nos observations, études de processus, outils de modélisation, qui contribuent à une expertise nécessairement internationale.
Vous constituez les structures référentes de la recherche scientifique française. Les accusations publiques sur l’intégrité des scientifiques du climat sortent des cadres déontologiques et scientifiques au sein desquels nous souhaitons demeurer. Nous pensons que ces accusations demandent une réaction de votre part, et l’expression publique de votre confiance vis-à-vis de notre intégrité et du sérieux de nos travaux. Au vu des défis scientifiques posés par le changement climatique, nous sommes demandeurs d’un vrai débat scientifique serein et approfondi.
Liste des premiers signataires: Valérie Masson-Delmotte (LSCE)- Edouard Bard (Collège de France / CEREGE)- François-Marie Bréon (LSCE)- Christophe Cassou (CERFACS)- Jérôme Chappellaz (LGGE)- Georg Hoffmann (LSCE)- Catherine Jeandel (LEGOS)- Jean Jouzel (LSCE)- Bernard Legras (LMD)- Hervé Le Treut (IPSL)- Bernard Pouyaud (IRD)- Dominique Raynaud (LGGE)- Philippe Rogel (CERFACS)Ce matin, Libération consacre ses trois premières pages à cet événement sans précédent.
Voici un document open office avec la liste des signataires hier soir, plus de 400.
Ce texte demande à ses destinataires «une réaction» et «l’expression publique de votre confiance vis à vis de notre intégrité et du sérieux de nos travaux». Un Appel lancé également à d’autres destinataires, les dirigeants de l’Académie des sciences, des organismes de recherche comme le CNRS, de son Comité d’éthique.Cette réaction doit répondre «aux accusations publiques» lancées par l’ancien ministre Claude Allègre et le directeur de l’Institut de Physique du Globe de Paris Vincent Courtillot. Des accusations violentes. Les climatologues seraient coupables d’une «imposture», «dévoyés» par l’appétit «d’argent», ils auraient trompé les citoyens et le gouvernement sur le climat. Dans son livre L’imposture climatique, Claude Allègre les accuse d’avoir «cadenassé» les revues scientifiques à l’aide d’un système «mafieux» et «totalitaire» afin d’imposer leurs vues aux contradicteurs.
Depuis la parution de ce brûlot dont les ventes explosent et qui a permis à Claude Allègre de bénéficier d’une large exposition médiatique (télés, radios, journaux), les climatologues s’interrogeaient sur leur riposte. Allaient-ils encore une fois se laisser «traîner dans la boue, insulter en place publique», s’est demandée Valérie Masson Delmotte, paléoclimatologue au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement de Saclay.
Le débat fut rude. Certains climatologues, et notamment des chefs de file, voulaient faire le dos rond. Ne pas «lui faire de la publicité». Ne pas laisser penser «que nous sommes contre le débat». Mais, finalement, l’énorme colère de centaines de chercheurs, révulsés par les mensonges à répétition de Claude Allègre, l’a emporté.
Ils ont certes ciselé un texte qui souligne leur désir d’exercer leur métier en toute «transparence», explique Masson-Delmotte, de soumettre toutes leurs données et méthodes à la critique dans le cadre d’un «débat scientifique serein et approfondi». Mais il reste cette affirmation nette : Claude Allègre et Vincent Courtillot ont «oublié les principes de base de l’éthique scientifique, rompant le contrat moral qui lie chaque scientifique à la société.» Pour parler clair : ils ont menti aux citoyens, usurpé une position d’expert alors qu’ils font preuve d’incompétence et de mauvaise foi. A l’appui de cette accusation peu courante, les climatologues affirment que «ces ouvrages n’auraient pu être publiés si on leur avait simplement demandé la même rigueur qu’à un manuscrit scientifique professionnel.»
Ce texte pèse aussi par ses signataires. I’accès à la signature est limité aux «scientifiques capables par leur expertise de savoir que Claude Allègre ment», précise Valérie Masson-Delmotte. Cela réduit le potentiel au millier de scientifiques œuvrant dans les laboratoires où l’on s’occupe des diverses facettes du climat – atmosphère, géographie, océans, glaces, hydrologie… Hier plus de 410 d’entre eux l’avaient signé.
Des personnalités de premier plan ont ajouté au nombre le poids d’une autorité scientifique et morale. Professeurs au Collège de France comme Edouard Bard, Emmanuel le Roy Ladurie (photo). Académicien des sciences comme Ghislain De Marsily, Marie-Lise Chanin. Directeurs de laboratoire comme Frédéric Parol (Lille, optique atmosphérique). Le mythe médiatique d’une opposition entre quelques climatologues trop investi dans le Giec (Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat) - Jean Jouzel ou Hervé Le Treut – et Claude Allègre s’écroule devant la marée des signataires. C’est toute une communauté scientifique qui s’est estimée insultée et qui réclame réparation publique à ses autorités de tutelle.
Hier soir, Valérie Pécresse informait Libération qu’elle avait «saisi le président de l’Académie des sciences pour qu’il organise en son sein un débat sur le sujet». Notant qu’elle «ne peut trancher un tel débat sans l’avis des pairs», elle ajoute : «ce n’est pas par hasard si j’ai proposé que le climatologue Jean Jouzel préside le Haut conseil pour la science et la technologie. C’est un signe de confiance du gouvernement envers cette communauté».
Ici, la protestation de Louise Sime, glaciologue britannique, contre les courbes bidons d’Allègre dans son livre.
Ici la démonstration par le paléo climatologue Hakan Grudd du trucage de Claude Allègre sur sa courbe de températures.
Les autres débuggages sur le livre d’Allègre sont ici : le premier (mise en jambes), le second (spécial sergent recruteur), le troisième (spécial graphique faux), et le quatrième spécial comique. Le cinquième spécial graphiques.
Lire ici un commentaire sur un éditorial de la revue Nature qualifiant le débat public sur le climat de « street fight »